vendredi 18 octobre 2019

Premier jour - Stress test

Sept heures du matin, l'aube ne rosit pas encore les ardoises de Château C mais nos héros sont à pied d'oeuvre. Ils décollent à 14 heures, plus tard que les années précédentes, ce qui doit leur permettre d'éviter la cohue du matin. Maman C a tout calculé. Pour décoller à 14h, il faut être à 12h à l'aéroport, en prenant une marge, cela fait 11h45. Pour 11h45 à l'aéroport,  il faut être à 11h à Gare de Lyon, en prenant une marge... Et de proche en proche, on aboutit à un départ vers 9h10. Les billets de train sont pris, tout est paré.

Il est sept heures trente quand les premières difficultés apparaissent. Des cheminots ont organisé une grève surprise. Maman C apprend à la radio que "les interconnexions gare de Lyon gare du Nord ne sont pas assurées". Qu'à cela ne tienne, dit papa C, les C prendront le métro. Les médias ne sont, hélas, pas aussi optimistes. Vers huit heures, il apparait que le train de banlieue qui devait assurer la liaison Château-C Paris est également concerné. Le taxi semble désormais la seule alternative, mais les C ne sont apparemment pas les premiers à y penser. Pendant une demi-heure, tous les conducteurs joint s'avèrent indisponibles, papa C enrage, et envisage sérieusement de résilier son abonnement à La Vie du Rail.

Vers 8h30, un chauffeur est enfin trouvé, qui arrive à dix heures. S'ensuit un long périple, avec des bouchons, des banlieues, des rocades et des raccourcis qui font perdre du temps. Mais un peu avant midi, à l'heure prévue par maman C, l'aérogare 2 E est en vue, les C enregistrent leur bagage, passent les contrôles de police. Ils ont terrassé les grévistes, et partent en Amérique.

Papa C a immortalisé cet instant jubilatoire.



Le destin contraire se manifeste à nouveau au contrôle des bagages, où les rillettes de thon contenues dans le sac de maman C inquiètent la maréchaussée. Quelques brèves explications règlent l'incident,  maman C garde ses rillettes. Plusieurs voyages en Amérique n'ont pas convaincu maman C de l'inutilité d'y emmener sa nourriture. Pour ce voyage, elle a pourvu les C de barres chocolatées, de divers gâteaux et cakes, de grenadine, de pain tranché sans gluten, de sachets de thé, et de quatre boîtes de rillettes de thon.

Les douaniers vaincus, les C embarquent, se serrent dans leurs sièges XXS, tentent de faire fonctionner les écrans tactiles antédiluviens et les dossiers démantibulés, se prennent à rêver du confort des trains de banlieue. Bref, ils subissent l'étape "transport aérien" du voyage, plus tendance cargo que paquebot.

Huit longues heures plus tard, l'Airbus 380 se pose avec toute la grâce dont ce genre d'engin est capable. Les C sont à l'heure à New York, mais l'appareil reste immobilisé sur la piste, apparemment, sa place est prise par un autre avion, dont il faut attendre le départ. Les héros sont fatigués, maman C en a marre, les petites C ont mal aux pieds, Papa C tente de les rassurer: avec l'ESTA, le contrôle de l'immigration est rapide, et Brooklyn, où ils vont dormir, n'est qu'à quelques miles de l'aéroport, que l'on fera en taxi. C'est bientôt fini, dit-il.

Evidemment, si c'était le cas, cet article ne serait pas intitulé "stress test". Lors de l'immigration, l'ESTA de l'aînée des petites C s'avère problématique. Au lieu de passer rapidement devant le fonctionnaire qui leur pose les deux questions traditionnelles (pourquoi venez vous et jusqu'
à quand) avant de les laisser passer, les C sont redirigés sur la file des problématiques, où un unique policier questionne, pointille, tâtillonne. C'est long, maman C se décompose, papa C s'inquiète. Leur tour arrive enfin, cela va assez vite, empreinte digitales, photos, quelques questions (en particulier, amenez vous de la nourriture? seulement des gâteaux dit papa C, en se disant que sur un malentendu, les rillettes de thon...) On les libère enfin, ils prennent leurs bagages et trouvent facilement un taxi, à qui ils donnent leur adresse à Brooklyn.

 Le chauffeur tape l'adresse sur son téléphone, qui annonce une arrivée dans 52 minutes (pour 11 miles). Effectivement, après quelques miles de roulage, le temps de sortir de l'aéroport, le taxi est coincé dans un gigantesque bouchon, qui permet de découvrir Queens au tomber du jour. A l'avant, papa C bavarde avec le chauffeur, en regardant le téléphone dont la prévision de durée s'allonge de minute en minute. A l'arrière, maman C est malade, sous l'effet conjugué des sauts de puce que fait la voiture, et du paysage extérieur, de plus en plus sordide. On quitte Queens, entre dans Brooklyn, c'est toujours aussi glauque mais ça roule un peu mieux. L'inquiétude monte, on leur a dit que Brooklyn se gentrifiait, ce n'ait apparemment pas vrai partout, où vont ils arriver?

Le taxi arrive enfin, et les dépose au fond d'une impasse sombre. Les C trouvent la maison, sonnent...  Il essaient l'interphone... Papa C tente d'appeler le propriétaire... Pas de réponse, nos héros sont seuls, la nuit tombée, au sommet d'un escalier, devant une porte en fer, ils sont fatigués, ils en ont assez, ils regrettent presque la grève de ce matin, en fait.

Seconde tentative téléphonique, papa C joint le propriétaire. Il n'est pas là, mais son frère va venir ouvrir. Ils attendent, cinq, dix minutes, et finalement la porte métallique s'ouvre, une bouffée d'odeur de cannabis en sort, et un jeune homme en peignoir éponge apparait. Il leur tend un trousseau de clefs, leur montre un escalier, et disparait au rez de chaussée. Les C montent deux étages, toujours aussi odorants, et trouvent, vers sept heures, leur appartement spacieux, et décoré de portraits de Bob Marley. Pas de doute, ils sont dans le quartier jamaïcain.



A ce stade, il était prévu de sortir faire des courses et dîner dans le quartier. Cette résolution incongrue n'est même pas mise aux voix. Maman C déballe ses rillettes, nos héros grignotent, maman et les petites C vont se coucher, il est vingt heures.

Comme il est deux heures du matin à Paris, papa C se dit que c'est l'heure idéale pour travailler à distance avec un de ses collègues. C'est pour lui le stress test de trop, il s'effondre au milieu d'une conversation sur l'hypersimplification. Il est neuf heures, les C dorment...

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