samedi 1 avril 2017

Interlude - Le bidon du destin

Deux ans ont passé. Les C sont allés en Amérique. Ils en sont revenus. Tout est rentré dans l'ordre.

Oh, il reste bien, à Château-C, quelques vestiges de leur expédition: un drapeau américain derrière le canapé du salon, une version originale du journal d'une grosse nouille dans la bibliothèque des petites C, un éventail-portrait-de-Robert-Frost signé "I'm a Frost fan" dans le bureau de papa C, quelques glaçages aux couleurs fluorescentes dans le garde manger, et deux bouteilles de vin du Vermont dans la cave. Mais la nature a repris ses droits, l'été, maman C. est au jardin à soigner ses légumes, les petites C partent en colonie en Dordogne ou dans l'Yonne, et les rêves de vacances ont pour cadre le zoo de Beauval et le Futuroscope.

Bref, l'Amérique c'était bien, mais c'était avant.

Un passage célèbre de Marcel Proust, auteur fétiche de papa C., commence ainsi

"Je trouve très raisonnable la croyance celtique que les âmes de ceux que nous avons perdus sont captives dans quelque être inférieur, dans une bête, un végétal, une chose inanimée, perdues en effet pour nous jusqu’au jour, qui pour beaucoup ne vient jamais, où nous nous trouvons passer près de l’arbre, entrer en possession de l’objet qui est leur prison. Alors elles tressaillent, nous appellent, et sitôt que nous les avons reconnues, l’enchantement est brisé. Délivrées par nous, elles ont vaincu la mort et reviennent vivre avec nous."

Proust raconte alors comment le goût d'une madeleine, trempée dans son thé, lui a fait retrouver son enfance. Papa C. est moins délicat, sa madeleine est un bidon.

Un matin d'hiver, maman C. avait préparé des pancakes, et papa C. était allé chercher le gallon de sirop d'érable ramené du Vermont, l'avait débouché, renversé au dessus de sa crèpe, attendu un peu que le visqueux liquide descende...

... une goutte, deux gouttes, et puis rien. Le bidon était vide, il allait devoir maintenant manger ses pancakes avec du sucre, de la confiture ou, horresco referens, un affreux ersatz acheté à prix d'or au rayon produits exotiques. Ainsi songeait papa C., mâchant son dernier pancake.

"Ca ne peut plus durer, dit-il à maman C. qui, en tablier Homard-du-Maine, surveillait sa crépière, aux prochaines vacances, nous repartons en Amérique".

Les prochaines vacances, c'était Pâques, début Avril cette année. Comme le Vermont peut être froid à cette époque, il fut convenu qu'on irait dans le sud. Et comme tout ceci eu lieu un samedi matin, quand les petites C. faisaient la grasse matinée, il fut également décidé qu'on leur en ferait la surprise.

Et comme la fois précédente, des guides ont été achetés, des billets réservés, des valises préparées, le soir tombe sur château-C, où flotte un parfum d'aventure...

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